51e congrès national d'anesthésie et de réanimation.
Infirmiers. Infirmier(e)s anesthésistes diplômé(e)s d’état (IADE) © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. |
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Accueil au bloc opératoire : prise en charge de l’anxiété
Points essentiels
L’anxiété face à l’acte opératoire existe, et doit être différenciée de l’anxiété trait. | |
L’expression de l’anxiété est propre à chaque patient. Elle nécessite une évaluation et une prise en charge individuelles. | |
L’utilisation d’échelle visuelle analogique d’autoévaluation est validée, simple et reproductible. | |
Différents supports doivent être choisis pour l’information sur le déroulement et ce lieu inconnu qu’est le bloc. La communication doit débuter en aval du sas d’accueil. | |
L’accueil doit être réfléchi, organisé et commun. | |
Il faut lutter contre les dysfonctionnements organisationnels, prévoir un temps adapté à l’accueil. | |
Il existe des possibilités d’amélioration du bien-être du patient au bloc opératoire : décor, ambiance lumineuse, adaptation musicale, aromathérapie. |
L’anxiété est une réaction face à un danger inconnu par la personne. C’est un état de désarroi psychique, s’accompagnant d’un sentiment d’insécurité. On distingue néanmoins l’anxiété trait de l’anxiété face à un événement.
Il existe quatre niveaux d’anxiété : l’anxiété légère (patient sur le qui-vive), modérée (l’attention devient sélective), grave (il existe une atteinte de la perception, de l’analyse et des anomalies physiologiques) et l’état de panique (il existe une déformation du champ de perception ; la personne est incapable de comprendre la situation et réagit de façon imprévisible à un stimulus même mineur).
L’exemple typique peut être le patient (avec son vécu, sa personnalité, son histoire personnelle et familiale, ses doutes et ses angoisses) arrivant au bloc opératoire pour un acte chirurgical sous anesthésie, chez qui se « bousculent » : la peur de souffrir ou de mourir, l’atteinte de l’intégrité physique, l’état de dépendance lié à l’hospitalisation, la possibilité de rechute, l’échec ou le risque d’erreur lors de l’intervention, le contexte.
Des antécédents de cancer ou de tabagisme actif, des désordres psychiatriques, une perception négative du futur, une douleur modérée à intense, la chirurgie non programmée, le sexe féminin, la catégorie ASA 3, et le haut niveau d’études représentent des facteurs de risque indépendants d’un état d’anxiété préopératoire [1]. La confrontation au risque anesthésique est modifiée par diverses influences (croyance, médias, intégration des informations reçues, qualité du contact avec les soignants, vécu antérieur). Quarante pour cent des opérés sont anxieux. De manière globale, les opérés sont 20 % plus anxieux que la population générale. Le jeûne est un facteur aggravant.
Les réactions physiologiques associées à l’anxiété sont transmises principalement par le système nerveux autonome (tachycardie, hypertension artérielle, polypnée, tonus musculaire, trouble du sommeil, modification des rythmes électroencéphalographiques, sudation) et peuvent retentir sur l’induction (consommation d’anesthésiques). Dans certains travaux, ces effets sont discutés [2].
Le transport préopératoire sur un brancard est un facteur anxiogène, par la position, la difficulté à visualiser et à communiquer (amenant certains à évoquer une entrée au bloc sur ses pieds) [3].
Dans toutes les étapes qui vont conduire au bloc opératoire, l’homme malade traverse des états contraignants et déroutants. Il se retrouve devant une situation qu’il ne peut fuir : il doit y faire face. Le bloc opératoire est un milieu clos, protégé, un « sanctuaire », de haute technicité. On doit y respecter des règles (éthiques, déontologiques, hygiéniques, organisationnelles, etc.). Alors qu’il est un lieu démythifié pour le personnel, le patient doit maîtriser son appréhension pour l’anesthésie, la chirurgie, ainsi que son angoisse à l’égard de ce lieu où la vie et la mort se côtoient si intimement.
Par ailleurs, le bloc opératoire représente un « rituel ». Il s’agit d’abord d’un rite de séparation (quitter sa chambre, le sas, le brancard, avec un sentiment de peur quasi constant), puis d’un rite de marge (attente plus ou moins longue, et sentiment d’abandon), enfin d’un rite d’agrégation au nouveau monde (serrement de mains, paroles d’accueil, sentiment de sécurité).
Quels sont les moyens d’évaluation de cette anxiété préopératoire ?
L’hétéroévaluation subjective de l’anxiété par les soignants est peu efficiente (chirurgiens et anesthésistes la surcotent) [4]. Il existe des échelles d’hétéroévaluation, comme, en pédiatrie, le score Modified Yale Preoperative Anxiety Scale, échelle observationnelle qui peut être utilisée avant l’induction anesthésique [5].
L’utilisation d’échelles d’autoévaluation est d’une bonne aide, pour respecter le profil du patient et obtenir une tendance évolutive. L’échelle d’anxiété et d’information d’Amsterdam (Amsterdam Preoperative Anxiety and Information Scale [APAIS]) semble être un outil utile d’évaluation des niveaux d’anxiété préopératoires en association à l’échelle visuelle analogique (EVA) [6]. L’inventaire d’anxiété état et trait de Spielberger (Spielberger State-Trait Anxiety Inventory [STAI]) a aussi été utilisé, mais il est moins fonctionnel. L’EVA sur réglette est validée dans cette indication [7]. Des travaux [8] ont comparé le score STAI, l’EVA et une échelle de référence HAD (Hospital Anxiety and Depression scale, qui différencie l’état dépressif de l’anxiété événement) en montrant une bonne corrélation et une plus grande simplicité de l’EVA. Une valeur d’EVA > 60 mm indique une anxiété inhabituelle qu’il faut prendre en compte.
L’accueil est un droit du patient et un devoir du soignant en respectant les besoins fondamentaux de l’opéré (loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : « la personne hospitalisée est traitée avec égards. Ses croyances sont respectées. Son intimité doit être respectée ainsi que sa tranquillité »).
L’accueil correspond à un besoin d’intégration et d’adaptation d’un individu dans la structure, qui s’apparente à de l’accompagnement. L’accueil exige la prise de conscience de ce besoin par l’individu, un groupe, une structure. Il doit exister une démarche du groupe, de la structure vers l’individu.
Le lieu de l’accueil est le sas d’entrée du bloc. Il est primordial de ménager un temps et un lieu avant de rentrer en salle d’opération pour permettre au patient d’exorciser ses craintes, de verbaliser. Le futur opéré ne doit pas avoir l’impression d’être stocké, ni celle de passer à la chaîne. Ce temps s’intègre à un programme opératoire. Il s’agit d’un lieu où toute stimulation peut générer un stress source d’anxiété : stimulations visuelles (lumière ambiante, scialytique, décor), auditives (langage, conversations du personnel parfois mal adaptées, bruit des instruments, déballage des matériels, alarmes diverses, bips), kinesthésiques (température, inconfort d’installation, manipulation).
L’accueil se limite-t-il à la communication ?
La communication est un moyen de transmettre, d’échanger, d’établir une relation avec autrui.
La communication se manifeste par deux mécanismes : verbal (locuteur et récepteur, faits, opinions et sentiments) et non verbal (attitude, expression du visage, postures, gestes, bruits divers).
Chez le patient chirurgical, au bloc, le temps n’est plus à l’information médicolégale, mais plus de l’ordre d’une relation d’aide avec le personnel soignant (empathie, attitude compréhensive sans jugement, s’immerger dans le monde subjectif d’autrui). Il faut mettre en confiance pour dédramatiser, diminuer le stress, rassurer grâce à l’écoute et à l’adaptabilité.
Malgré tout, l’information pratique et globale sur le déroulement des actes (chirurgical et anesthésique) est un élément important de la phase préopératoire. Elle doit être dispensée en aval du sas d’accueil du bloc au cours des consultations chirurgicale et anesthésique, et de la visite préanesthésique (déroulement, différentes options, participation du patient au choix, traitement de la douleur, et consentement éclairé). Il faut intégrer au discours la typologie du patient.L’anxiété est à son plus haut degré lors de l’hospitalisation. Il faut ainsi se poser la question : accueil au bloc ou accueil à l’hôpital ? Si l’anxiété paraît majeure à l’entrée dans l’institution, elle diminue par la suite grâce aux moyens spécifiques mis en œuvre (accueil, anxiolyse par voie orale, musique sur écouteurs pendant chirurgie sous anesthésie locale) [9]. Toutes chirurgies confondues, un tiers des patients estiment ne pas avoir été suffisamment informés (pas d’information pratique, réponses aux seules questions posées). Malgré l’information, l’anxiété peut persister et de manière importante, sans lien direct avec le type et la gravité de la chirurgie. L’accueil doit donc être personnalisé [10].
La communication non verbale, qui représente 70 % des messages que l’on transmet et que l’on reçoit, se fait en toute inconscience : froncer les sourcils est une manifestation de colère, de concentration, de déplaisir ou de réflexion, alors que les exigences en termes de qualité et d’hygiène imposent un équipement qui ne laisse apparaître que le regard (personnel masqué, anonyme, cagoulé).
Le sens du toucher varie selon les individus et leurs vécus. Il faut utiliser le toucher avec prudence et de manière progressive, car il implique une ingérence dans la distance intime. Au travers du tonus, des gestes, des contacts corporels, un grand nombre de messages s’échangent, permettant de construire une impression de l’autre.
Respect et politesse passent par le simple fait de dire « bonjour ». Il s’agit aussi de faire attention à préserver la pudeur (agression psychologique au travers de la nudité que l’on impose au malade), l’intimité, le bien-être.
La réduction de l’anxiété au bloc opératoire s’inscrit dans une démarche qualité d’amélioration des pratiques professionnelles. On peut ainsi utiliser le principe de la roue de Deming, ou modèle PDCA) : plan, do, check, act ; planifier, faire, analyser et améliorer. Un groupe de travail multiprofessionnel, motivé et réduit doit être créé (infirmières anesthésistes diplômées d’État [IADE], infirmières de bloc opératoire diplômées d’État [IBODE], anesthésistes et chirurgiens), avec des conseils ponctuels d’intervenants extérieurs (psychologue, aromathérapeute, musicothérapeute, etc.).
Ainsi, la priorité est à l’analyse du vécu du patient. Cela nécessite une évaluation objective de l’anxiété, des situations anxiogènes et des événements aggravants. Enfin, il est nécessaire d’analyser le processus « bloc opératoire » dans son ensemble : phase préopératoire, information, transfert, accueil.
Dès lors, des mesures d’amélioration peuvent être instituées.
- L’information : améliorer l’information des patients sur le rôle de chacun au bloc. Cette information est réalisée à divers moments de la prise en charge, de la consultation à l’hospitalisation [11]. On peut développer la visite « préopératoire paramédicale » ; améliorer l’utilisation des moyens de communication (brochure d’informations, blog, film du déroulement d’une journée sur chaîne de télévision dédiée, photothèque, etc.) ; rendre aptes les personnels des services chirurgicaux à répondre aux questions pratiques des patients (stage de découverte du bloc).
- L’accueildu patient doit se faire en binôme IADE/IBODE avec identification des soignants (badge de fonction). La personnalisation de l’accueil nécessite un état d’esprit, une compréhension des objectifs poursuivis, une remise en question régulière sur les comportements relatifs à l’accueil (aspect relationnel et pas seulement technique du soin au bloc). Il faut lutter contre le fait que l’anesthésiste soit sur plusieurs salles, n’arrivant que pour le geste technique de l’induction, ou le chirurgien n’arrivant qu’une fois le patient anesthésié.
- La prémédication, adaptée au patient et à l’acte, a pour objectif le confort du patient : anxiolyse, amnésie, analgésie/sédation, analgésie préventive, prévention des nausées et vomissements. Il faut limiter le jeûne. En France, les techniques de relaxation (sophrologie, hypnose) restent peu utilisées.
- En ce qui concerne l’organisationde l’activité au bloc, il faut maîtriser les dysfonctionnements organisationnels. Au niveau du sas d’accueil, le patient éprouve une sensation d’isolement et un temps d’attente excessif (par un appel trop précoce). Ce sas, lieu de passage, est souvent inadapté et austère, encombré de matériel médicochirurgical stocké. La salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI) n’est plus utilisée uniquement pour la surveillance postinterventionnelle des opérés ; elle est aussi une salle de mise en condition avant la chirurgie en urgence, une salle de réalisation des anesthésies locorégionales (ALR), un plateau technique pour différents actes (voie veineuse centrale, sismothérapie, cardioversion, hémodilution, blood-patch, etc.). Ainsi, la promiscuité des différentes catégories de patients est génératrice d’anxiété, et pose des problèmes de respect de la pudeur et de la confidentialité. Cet aléa peut être amoindri par l’utilisation de rideaux séparateurs, permettant une sectorisation technique [12].
- Lutte contre l’inconfort et amélioration du bien-être. La sensation de froid est souvent une source de plainte par le patient à toutes les étapes de sa prise en charge. Il est nécessaire d’améliorer le réchauffement du patient dès la chambre d’hospitalisation (système de réchauffement autocontrôlé par le patient type Bair Paws®, couvertures pour le transfert, réchauffement des tables opératoires, gestion de la température des salles).
L’utilisation de l’aromathérapie au niveau du sas d’accueil et de la SSPI par diffusion d’huiles essentielles (lavande et agrumes associés) aurait des vertus relaxantes, déstressantes et antibactériennes [13].
La vision est le sens le plus fréquemment stimulé durant cette période. La lumière régule le rythme de la journée. L’être humain est étroitement conditionné par son environnement lumineux ; celui-ci a un impact très important sur son bien-être et ses émotions. Il faut réduire les agressions lumineuses [14]. L’éclairage constitue un moyen de transformer un environnement « austère », et de créer une atmosphère rassurante, tout comme peut le faire un décor adapté.
L’audition intervient à plusieurs niveaux. Il faut ainsi réduire les nuisances sonores ambiantes à l’induction et au réveil (discussion, bruits chirurgicaux) et utiliser une musique d’ambiance, qui paraît être un bon moyen pour le patient de parvenir à un apaisement, une détente, de garder un contact avec l’extérieur et de le sécuriser. On peut ainsi, en particulier sous ALR, réduire les besoins en sédation associée [15]. L’écoute de musique adaptée en préopératoire réduit les scores d’anxiété sans modifier les éléments physiologiques liés à cette anxiété [16]. Certains préféreront le silence afin de mieux se concentrer, alors que pour d’autres la musique peut aider à dédramatiser la situation.
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