dimanche 29 mai 2011

Les sinusites d’origine dentaire : diagnostic et prise en charge


- Drs Martin Broome et Bertrand Jaques
Division de chirurgie maxillo-faciale
- DrYan Monnier
Service d’oto-rhino-laryngologie et chirurgie cervico-faciale CHU V, 1011 Lausanne

Résumé:


Les sinusites maxillaires sont des infections fréquentes de la sphère ORL. On retrouve une étiologie dentaire dans environ 10% des cas. L’extension des infections dentaires dans le sinus maxillaire est possible en raison de la proximité des racines des dents postérieures avec le bas fond sinusien. Une source odontogène doit être suspectée chez les patients ayant une anamnèse de douleur ou d’infection dentaires, de soins dentaires récents et qui présentent une sinusite unilatérale prolongée ou résistant à un traitement conservateur habituel. Les infections d’origine dentaire possèdent une flore bactérienne mixte. Le diagnostic et la prise en charge nécessitent un bilan radiologique précis. Le traitement doit prendre en charge conjointement la cause dentaire et la sinusite. Un geste chirurgical peut être indiqué dans un deuxième temps afin de restaurer la fonction sinusienne.

Introduction:


Les sinusites sont définies par une atteinte inflammatoire de la muqueuse sinusienne. En fonction de la durée et de la fréquence des symptômes, les sinusites sont classées en formes aiguës, aiguës récidivantes ou chroniques (figure 1). Chacune de ces entités répond à des critères diagnostiques précis.1 Les sinusites aiguës sont définies par une rhinorrhée purulente présente depuis moins de quatre semaines en association avec des douleurs en regard des aires sinusiennes (sinusalgies) et/ou une obstruction nasale. Les sinusites aiguës récidivantes sont définies par la présence d’au moins quatre épisodes de sinusite aiguë par année. Les sinusites chroniques sont définies par la présence d’au moins deux des critères subjectifs suivants : rhinorrhée purulente, obstruction nasale, sinusalgies et/ou hyposmie, en association à au moins un autre des critères objectifs suivants : écoulement purulent au méat moyen, polypose et/ou inflammation de la muqueuse sinusienne. Ces symptômes et signes cliniques doivent être présents depuis plus de douze semaines.

Le diagnostic des sinusites aiguës est simple et le traitement efficace. D’origine le plus souvent virale, les sinusites aiguës ne nécessitent qu’un traitement conservateur. Aucun examen radiologique n’est utile en dehors d’une complication. En cas de persistance ou d’aggravation des symptômes au-delà de dix jours, une surinfection bactérienne est à suspecter et doit être traitée par antibiotiques (figure 1).
La prise en charge des patients souffrant de sinusites aiguës récidivantes ou chroniques est en revanche plus difficile et nécessite le recours à des examens radiologiques complémentaires (scanner des sinus) permettant de déterminer l’étiologie de l’infection. Le principe du traitement est double. Il consiste en une prise en charge de l’infection, associée à l’identification et la suppression de son origine. Les sources infectieuses des sinusites aiguës récidivantes et chroniques sont nombreuses. Le type d’atteinte et la symptomatologie initiale (rhinologique versus non rhinologique) doivent permettre l’orientation du diagnostic. Une atteinte diffuse touchant l’ensemble des sinus paranasaux oriente avant tout le diagnostic vers une pathologie de la muqueuse. Cette dernière est très fréquemment d’origine allergique, plus rarement d’une autre étiologie (polypose, maladie systémique, etc.). Une atteinte unilatérale doit faire rechercher une origine mécanique empêchant le drainage du sinus maxillaire, ou une origine dentaire. L’obstruction mécanique du méat moyen peut être d’origine tumorale ou anatomique (par exemple déviation septale). En l’absence d’une de ces deux étiologies, une origine dentaire doit être recherchée. Les sinusites d’origine dentaire méritent une attention particulière en raison des différents mécanismes physiopathologiques, de la microbiologie, des examens complémentaires et de la prise en charge.
On retrouve une étiologie dentaire dans environ 10% de tous les types de sinusites maxillaires,2,3 incidence qui monte jusqu’à 40% des cas de sinusites maxillaires chroniques.4,5

Mécanismes physio-pathologiques:


La proximité anatomique de l’apex des racines des prémolaires et des molaires supérieures (par ordre de fréquence : les 6, les 5, les 7 puis les 4) avec le sinus maxillaire offre une voie de propagation à tout foyer infectieux situé dans la région (figure 2). A noter que la propagation intrasinusienne des infections d’origine dentaire ou iatrogène est cependant rare. Ces dernières ont en effet tendance à rester locales (abcès sous-périosté, ostéite) ou à se propager dans les tissus mous de la face et du cou (phlegmon, adéno-phlegmon, thrombophlébite).
Les sinusites maxillaires d’origine dentaire résultent d’une inflammation de la muqueuse du sinus maxillaire consécutive à une infection d’origine dentaire. Il existe deux étiologies possibles : les foyers infectieux dentaires et les complications infectieuses iatrogènes après chirurgie orale.
Les infections dentaires sont le plus souvent d’origine endodontique. Il s’agit de complications des caries dentaires, avec nécrose de la pulpe et formation d’un granulome apical (figure 3a). Plus rarement, il peut s’agir d’une infection parodontale (tissu de soutien de la dent) se prolongeant le long de la racine atteinte jusqu’au niveau de l’apex et aboutissant également à la formation d’un granulome apical (figure 3b).

Les complications iatrogènes surviennent à la suite de traitements dentaires. Le médecin-dentiste peut être amené à dévitaliser une dent et l’obturer avec une pâte et du ciment (traitement de racine). Les substances mises en place peuvent dépasser la pointe de la racine, migrer dans le sinus et se surinfecter. Lors d’extractions dentaires, des morceaux de dent peuvent se casser et migrer dans le sinus. Des fistules postextractionnelles peuvent également survenir et permettre une communication entre le sinus et la cavité orale. Chez les patients édentés, la perte de hauteur de l’os alvéolaire, avec de manière concomitante l’augmentation du volume du sinus (procidence sinusale, classique après la perte des premières molaires), peut entraîner une hauteur insuffisante de l’os pour pouvoir poser des implants dentaires. Des greffes d’élévation sinusienne peuvent être proposées aux patients. Certains médecins-dentistes utilisent des greffes osseuses d’origine animale ou synthétiques comme matériau de comblement avant de poser des implants, pouvant aussi être à l’origine d’infections chroniques (figure 4).6

Microbiologie:


Le prélèvement d’échantillons microbiologiques reflétant spécifiquement la composition de la flore bactérienne des cavités sinusiennes est techniquement difficile en raison du risque de contamination. Néanmoins, il est généralement accepté que les sinus possèdent une flore spécifique.7 On retrouve généralement des Streptococcus viridans, des streptocoques bêta-hémolytiques, des streptocoques du groupe A, des Streptococcus pneumoniae, des Staphylococcus aureus, des Haemophilus parainfluenzae, des entérobactéries, des anaérobes et d’autres cocci gram positifs et gram négatifs.
La flore bactérienne responsable des sinusites dépend de la chronicité de l’atteinte et de la source infectieuse. Les microorganismes les plus souvent isolés dans les sinusites bactériennes aiguës sont desStreptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae et Moraxella catarrhalis. Des épisodes de sinusites aiguës à répétition de même qu’une atteinte chronique aboutissent à une modification de la flore bactérienne. La dysfonction muco-ciliaire chronique associée à la diminution de l’aération des sinus constitue un terrain propice au développement de germes anaérobes possédant souvent une résistance accrue aux pénicillines (production de bêta-lactamases). Ces altérations modifient la prise en charge des sinusites chroniques, en ce qui concerne l’antibiothérapie.
Il existe également une corrélation entre des soins dentaires et le développement d’infections mycotiques intrasinusiennes : les pansements et produits d’obturation endodontiques contiennent des produits prédisposant à une croissance aspergillaire (oxyde de zinc, corticoïdes). On retrouve des antécédents dentaires dans plus de 90% des cas d’infections sinusiennes à aspergillus.8

Examens complémentaires:


L’orthopantomogramme (OPG) est le cliché de base à la recherche d’une lésion d’origine dentaire. Il permet également de bien voir la relation entre les dents du maxillaire et le sinus.9 Les caisses-maladie demandent souvent des justificatifs avant de prendre en charge ce type de cliché.
Le scanner avec des reconstructions dans les trois plans de l’espace est à l’heure actuelle l’examen de choix pour la visualisation des structures osseuses et des tissus mous. Il est indiqué lors d’une complication d’une sinusite aiguë, ou à la recherche d’une étiologie lors d’une sinusite aiguë récidivante ou chronique, par exemple en cas de suspicion de fistule bucco-sinusienne infraclinique.

Prise en charge:


La prise en charge des sinusites dentaires impose, sous peine d’échec, de traiter conjointement sinus et dent. Le traitement est donc médico-chirurgical et porte toujours sur la sinusite (traitement antibiotique) et la cause dentaire (traitement dentaire et/ou chirurgical). La prise en charge médicale des sinusites dentaires est la même que pour les sinusites bactériennes d’autre origine. Elle repose sur une antibiothérapie per os par amoxicilline (6-10 jours) en première intention. En cas d’allergie, l’utilisation d’un macrolide ou d’une céphalosporine de deuxième génération (3-5 jours) est acceptable. Dans les cas de résistance au traitement, une antibiothérapie ciblée en fonction des résultats de prélèvements microbiologiques effectués par un spécialiste ORL (prélèvement d’un écoulement au méat moyen sous guidance endoscopique versus ponction sinusienne par ostéotomie endonasale) doit être envisagée. Une alternative à cette méthode est le traitement d’épreuve par une fluoroquinolone respiratoire à large spectre (lévo-floxacine, moxifloxacine) ou par de hautes doses d’amoxicilline associé à de l’acide clavulanique (4 g/jour). En raison du risque de résistance (S. pneumoniae) et d’atteinte de la flore intestinale, ces options sont à réserver pour les situations particulières.10,11
Le traitement dentaire consiste à extraire la dent incriminée ou à effectuer une dévitalisation de sa pulpe (traitement de racine). Lors d’une communication bucco-sinusienne, cette dernière doit être fermée, une fois le sinus assaini. En cas de corps étranger intrasinusien, une antrotomie avec repositionnement et ostéosynthèse du volet est une alternative. Elle permet facilement l’extraction du corps étranger, mais ne permet pas de restaurer la fonction sinusienne.
Une fois l’infection sinusienne traitée et la cause dentaire enlevée, une intervention chirurgicale est donc souvent nécessaire afin de restaurer les fonctions de drainage et de ventilation de la cavité sinusienne. Une voie d’abord endoscopique avec réouverture de l’ostium par méatotomie moyenne est l’intervention de premier choix.12
La prise en charge des sinusites mycotiques d’origine dentaire est similaire, en associant un geste chirurgical à un éventuel traitement antifongique oral.13

Conclusion: 


Une origine dentaire doit être suspectée lors de sinusites unilatérales récidivantes ou de sinusites prolongées unilatérales. Face à ce type de pathologies, un scanner doit être effectué afin d’identifier la cause de l’infection. Une lésion unilatérale, sans destruction osseuse d’origine tumorale ou de problème anatomique entravant le drainage du sinus, doit renforcer la suspicion d’une origine dentaire. Une anamnèse de douleurs dentaires ou de geste dentaire récent doit être recherchée et augmente la probabilité du diagnostic. En phase aiguë de surinfection bactérienne, une antibiothérapie est indiquée. Le traitement définitif repose sur l’élimination de la source infectieuse par un traitement dentaire, ou une extraction combinée à une méatotomie moyenne permettant de rétablir la fonction du sinus.
Implications pratiques


> Face à une sinusite maxillaire unilatérale récidivante ou chronique, il faut penser à une origine dentaire 
> Le traitement médical seul ne suffit pas. Un traitement dentaire permettant d’éliminer la source infectieuse est également nécessaire
> Une antibiothérapie à très large spectre n’est pas indiquée en première intention.

Bibliographie:


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D'après : Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2008









































































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