La prothèse amovible chez l'enfant en pratique quotidienne :
pour
qui et pourquoi?
Résumé:
La
dentition dans le phénomène général de
croissance de l'enfant débute dès la vie in utero et se termine vers 18-20 ans
avec la mise en place des dents de sagesse. Elle passe par une étape
intermédiaire: la denture lactéale.
Toute
lésion de la denture lactéale ou de la denture mixte aura des répercussions
souvent catastrophiques sur la croissance locale, voire peut-être générale, et
sur l'architecture de la denture à venir.
L'extraction
prématurée d'une dent de lait amène un trouble dans la dentition qui doit, si
nécessaire, être corrigé. Seul est abordé
ici, le problème des prothèses
amovibles visant à rétablir les fonctions de mastication, digestion,
déglutition, maintien de l'espace, phonation et esthétique.
Mots clés :
adolescent
agénésies
croissance
enfant
extractions multiples prothèse dentaire amovible.
Actualités Odonto-Stomatalogiques n° 174,
juin 1991
La prothèse pédiatrique en
odontologie évoque encore trop souvent une intervention traumatisante non
adaptée à l'âge infantile. Pourtant les conséquences majeures du manque de
références occlusales, tant dans l'évolution physiologique que psychologique
de l'enfant, ne laissent aucun doute sur la nécessité d'une réhabilitation
prothétique initiale.
L'évidence de la nécessité
d'une intervention prothétique une fois acceptée, encore faut-il en poser les
méthodes de réalisation pour une réussite optimale. Ces conditions de
réalisation seront à envisager tant du point de vue psychologique, du fait de
la fragilité du patient, que technique, de par le caractère essentiel de
l'enfant: celui d'être en constante évolution. La conception de la prothèse
devra tenir compte des phénomènes de croissance et d'éruption qui vont se
produire dans un avenir proche ou lointain. Hormis le problème de la
réalisation technique des prothèses amovibles pédiatriques, se pose celui de
savoir à quel type d'enfant elles s'adressent et quel est l'intérêt d'une
réhabilitation prothétique chez cet enfant.
pour qui?
La prothèse pédiatrique
s'adresse à des enfants présentant des édentations précoces plus ou moins
importantes. Ces édentations peuvent porter sur les dentures temporaires,
mixtes ou définitives et peuvent être d'origine congénitale, pathologique ou
traumatique.
AGÉNÉSIES
Ce sont les agénésies
simples, les oligodonties et les anodonties.
- L'oligodontie ce terme est employé
lorsqu'il manque au moins 25 % du nombre total de dents, les cas les moins
rares sont ceux du syndrome de Touraine, où quelques dents seulement
peuvent être présentes. Dans cette maladie:
- les dents sont
dystrophiques, coniques et donc peu rétentives;
- les crêtes sont inexistantes, c'est dire
la difficulté d'appareillage de ces enfants (fig. 1).
- L'anodontie : très exceptionnelle,
elle peut affecter une ou deuxdentures et peut être uni- ou bimaxillaire.
Statistiquement on note une plus grande atteinte de l'unité dentaire
mandibulaire que maxillaire 16.
- En général, le terme d'agénésie simple est réservé aux cas où quelques dents sont absentes. Elles sont souvent héréditaires sur le mode de dominance autosomique II .
Bien qu'elles affectent
rarement la denture temporaire (0,1 à 0,4 % de la population selon CLAYTON et
BOLLENDER), les agénésies sont loin
d'être exceptionnelles en France puisqu'elles affectent la denture permanente
de 5 à 6 % de la population selon GYSEL et MONTEIL. Ces cas sont souvent réservés
à la prothèse fixe.
ÉDENTATIONS
PAR EXTRACTIONS MULTIPLES
Ces extractions multiples
ont plusieurs origines:
1. Dans la
grande majorité des cas, ces édentations sont dues à des avulsions dentaires
pratiquées
chez des enfants atteints de
polycaries infectées, syndrome du biberon étendu aux molaires...
Ceci concerne souvent des enfants
difficiles qui, refusant les soins, ont vu au fur et à mesure des années leur
denture se détériorer.
La carie est le quatrième
fléau mondial. La polycarie occupe le premier rang parmi les causes
d'édentation sévère chez l'enfant.
2. Dans les affections à
risque bactériémique, les éradications des dents infectées (ou de celles qui
risquent de le devenir) sont nécessaires, c'est le cas:
- dans certaines cardiopathies congénitales ou
acquises,
- dans certaines prothèses endoosseuses ou vasculaires,
- chez les enfants aux défenses diminuées
(chimiothérapie, aplasie médullaire...).
3. Dans les parodontopathies
délabrantes qui accompagnent certaines pathologies comme:
- syndrome Papillon-Lefèvre, - neutropénie,
- hypophosphatasie.
pourquoi?
La denture de l'enfant
intervient dans de nombreux phénomènes physiologiques tels que la croissance,
la mastication, la digestion, la phonation, l'esthétique et la suite de la
dentition elle-même. Il apparaît donc très important, dans les cas où cette
denture ne peut plus jouer son rôle, de restituer à l'enfant une intégralité
dentaire. Les indications des prothèses pédiatriques se situent à plusieurs
niveaux:
1. Au niveau de la stimulation de la
croissance
La perte
prématurée d'organes dentaires entraîne des perturbations de la croissance :
- Sur les bases osseuses:
La croissance des bases
osseuses est pour une grande part sous l'influence de l'hérédité. Il s'y
ajoute cependant l'action des différentes fonctions: mastication, respiration,
déglutition, qui vont développer suivant le territoire de leurs actions la
croissance des pièces osseuses correspondantes.
Les extractions prématurées
entraînent des troubles importants de la croissance locale, avec formation de
diastèmes créés par ces extractions. Le déséquilibre qui apparaît alors va agir
de proche en proche et va perturber la croissance des maxillaires et même de la
face. On sait en effet que la morphologie de l'étage moyen, liée à celle des
piliers osseux (antérieurs, moyens et postérieurs) réunis par le ceîntre
zygomatomalaire, est tributaire des pressions masticatoires qui se transmettent
à la base du crâne.
Une édentation molaire
mandibulaire bilatérale importante peut conduire à une position linguale
basse. La langue étant basse constamment, une hypoplasie des maxillaires
supérieurs survient puisque la croissance suturale intermaxillaire n'est plus
correctement stimulée. L'architectonie faciale, adaptation des piliers qui
relient le maxillaire supérieur à la base du crâne, s'établit mal. Progressivement,
les piliers verticaux (incisivo-canins en particulier) et surtout le ceîntre
zygomatomalaire qui les unit, connaissent une croissance insuffisante qui se
traduit au niveau du profil par:
- la fausse protrusion des
globes oculaires;
- la rétrochélie supérieure.
Dans son aspect majeur, le
profil est proche de celui réalisé par la maladie de Crouzon. La croissance
mandibulaire, dont le taux n'est plus contrôlé par une arcade supérieure qui
devrait circonscrire en tout point l'arcade inférieure, devient excessive: une
prognathie mandibulaire vraie s'instaure (promandibulie).
- Sur le rapport des arcades
La perte prématurée d'une
grande partie des zones d'appui déciduales provoque la perte de soutien de
l'occlusion avec comme conséquence une diminution de la hauteur d'occlusion.
Deux cas de figures sont possibles
:
1. Le rapport des dents antérieures
est tel qu'il existe un léger recouvrement incisif (ce qui est normal en
denture définitive jeune) :
. si le patient possède une
musculature masticatoire forte, seules les dents antérieures supportent les
pressions manducatrices, les dents supérieures cèdent et sont protrusées; ou
bien, toutes les antérieures supérieures et inférieures se vestibulisent et
une biprotrusion s'établitl3 (schémas 2 et 3) ;
. lorsque les pressions manducatrices sont moins
importantes, les incisives résistent et freinent la croissance en avant de la
mandibule. La relation molaire tend alors vers une distocclusion13 (schéma 4).
2. Les dents antérieures sont en bout à
bout incisif (normalité à la fin de la denture lactéale frontale). Pour trouver
un antagonisme dans les zones postérieures, l'enfant ne peut que propulser la
mandibule, créant ainsi une inversion d'articulé incisif avec proglissement13
(schéma 5).
C'est ainsi qu'une
édentation molaire bilatérale peut amener un proglissement mandibulaire voire
une situation d'inocclusion rappelant celle du vieillard édenté ou du
nourrisson, imposant à l'enfant de conserver sa succion-déglutition initiale
(qui s'était normalement transformée en déglutition «arcades au contact» lors
de l'apparition des surfaces dentaires de mastication (fig. 36 à 39).
Par ailleurs une édentation
importante unilatérale peut provoquer l'installation d'une latéro-déviation
mandibulaire.
- Sur la croissance des procès alvéolaires
Une édentation importante
provoque une déviation du développement normal alvéolaire par étalement
lingual. L'os alvéolaire naît et vit avec la dent.
Il naÎt.. c'est en effet l'épithélium
de la lame dentaire qui provoque l'activité du mésenchyme sousjacent et sa
transformation en tissus osseux.
Il vit.. la croissance alvéolaire se fait suivant les éruptions dentaires
temporaires et définitives.
- Sur la croissance des condyles mandibulaires
Une mastication unilatérale,
provoquée par une édentation unilatérale postérieure, entraîne un
déséquilibre musculaire parfois responsable d'une morphologie condylienne
anormale. Cette asymétrie fixée aboutira à des troubles définitifs de la
cinétique mandibulaire.
2. Au niveau de la mastication, de la
déglutition
et de la digestion
La mastication est le
premier temps de la fonction de nutrition, elle est à la base du développement
normal de l'enfant et réclame l'intégralité du système dentaire.
Chaque dent extraite, perdue
précocement entraîne une diminution du cœfficient masticatoire en fonction de
la valeur de chaque dent. Ainsi, les dents de six ans représentent le quart de
la table occlusale, soit la plus grande surface de mastication. L'intégralité de
ces molaires est très importante pendant la chute des molaires temporaires et
la mise en occlusion des prémolaires.
Avec la mastication, les
réflexes de succion disparaissent normalement au profit d'une déglutition en
intercuspidie maximale avec appui de la pointe de la langue sur les faces
palatines des incisives supérieures.
La perte prématurée des
dents temporaires, notamment molaires et incisives, prolongera la déglutition
avec interposition de la langue entre les arcades. Cette interposition linguale
empêchera l'ouverture de l'occlusion et maintiendra les premières molaires
permanentes en infraposition avec pour conséquence une supraclusion incisive
dans les années qui suivront.
3. Au niveau du maintien de l'espace et du
guide d'éruption des dents permanentes
En palliant aux édentations,
les prothèses pédiatriques maintiennent au niveau des sites édentés un
diamètre mésio-distal suffisant pour permettre l'éruption des dents
permanentes sous-jacentes.
Chez les patients non
appareillés, il se produit une mésialisation des dents distales aux secteurs
édentés, empêchant ainsi toute éruption des dents permanentes. Cette
mésialisation est relativement importante chez un sujet à grand F.M.A. (angle
formé entre le plan mandibulaire et le plan de Francfort), alors qu'elle est
beaucoup plus faible et parfois nulle chez un sujet à petit F.M.A.
Par le biais de meulages
sélectifs faits au niveau de l'intrados des prothèses amovibles pédiatriques,
on peut guider l'éruption des dents permanentes.
4. Au niveau phonétique
Le son de la voix se forme
au niveau des cordes vocales. Le langage, quant à lui, est constitué par les
modifications du son au niveau du pharynx, de la cavité buccale et des fosses
nasales.
La denture lactéale donne à
la langue les appuis nécessaires à la prononciation de certains phonèmes, lors
de l'acquisition du langage. Le manque de dents entraîne d'importants problèmes
de phonation: une édentation bilatérale postérieure importante peut provoquer
l'apparition d'un « chuintement», une édentation antérieure importante un
«zozotement ».
Cependant, les extractions
prématurées n'entraînent généralement que des modifications provisoires chez
un enfant ne présentant pas de troubles phonétiques préexistants, ces
modifications cessant soit avec l'appareillage de l'enfant, soit avec
l'éruption des dents permanentes.
5. Au niveau esthétique et psychologique
Le visage et, encore plus,
la sphère dento-Iabiale se révèlent comme un élément essentiel de l'esthétique.
Les rôles psychologiques et
esthétiques sont fondamentaux car liés à la formation du schéma corporel de la
personnalité. L'oralité, dans la constitution de la personnalité, est capitale.
L'étage inférieur du visage,
et plus particulièrement le sourire dentolabial, constitue une entité psychologique
dans laquelle les éléments organiques, la personnalité et l'esprit sont
indivisibles. Cette image plastique du visage devient indissociable de
nous-mêmes, au point que toute altération de cette unité, aboutit généralement
à une rupture de l'équilibre organique et psychique .
C'est ainsi qu'une
modification esthétique, aussi disgracieuse que la perte prématurée d'incisives
temporaires maxillaires, peut créer des modifications du psychisme de l'enfant
et être également à l'origine de praxies (succion du pouce, interposition
linguale), qui perturberont l'établissement de son occlusion.
conclusion
L'atteinte dentaire perturbe
gravement le développement physique de l'enfant, elle peut freiner son
développement scolaire et affecter de façon pathologique sa vie relationnelle.
La pose de prothèse permet à l'enfant de se sentir «comme les autres », de
manger normalement, de dormir mieux, de pouvoir présenter son visage sans
provoquer de railleries.
Son premier - vrai - sourire
est déjà, s'il en était besoin la
justification de la décision du praticien.
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