vendredi 26 août 2011

La prothèse amovible chez l'enfant en pratique quotidienne



La prothèse amovible chez l'enfant en pratique quotidienne :
 pour qui et pourquoi?

Résumé:
La dentition dans le phénomène général de croissance de l'enfant débute dès la vie in utero et se termine vers 18-20 ans avec la mise en place des dents de sagesse. Elle passe par une étape intermédiaire: la denture lactéale.
Toute lésion de la denture lactéale ou de la denture mixte aura des répercussions souvent catastrophiques sur la croissance locale, voire peut-être générale, et sur l'architecture de la denture à venir.
L'extraction prématurée d'une dent de lait amène un trouble dans la dentition qui doit, si nécessaire, être corrigé. Seul est abordé ici, le problème des prothèses amovibles visant à rétablir les fonctions de mastication, digestion, déglutition, maintien de l'espace, phonation et esthétique.
Mots clés :
adolescent
agénésies
croissance
enfant
extractions multiples prothèse dentaire amovible.

Actualités Odonto-Stomatalogiques 174, juin 1991


La prothèse pédiatrique en odontologie évoque encore trop souvent une intervention traumatisante non adaptée à l'âge infantile. Pourtant les consé­quences majeures du manque de références occlusales, tant dans l'évolution physiologique que psy­chologique de l'enfant, ne laissent aucun doute sur la nécessité d'une réhabilitation prothétique initiale.

L'évidence de la nécessité d'une intervention prothétique une fois acceptée, encore faut-il en poser les méthodes de réalisation pour une réussite optimale. Ces condi­tions de réalisation seront à envi­sager tant du point de vue psycho­logique, du fait de la fragilité du patient, que technique, de par le caractère essentiel de l'enfant: celui d'être en constante évolu­tion. La conception de la prothèse devra tenir compte des phéno­mènes de croissance et d'érup­tion qui vont se produire dans un avenir proche ou lointain. Hormis le problème de la réalisation tech­nique des prothèses amovibles pédiatriques, se pose celui de savoir à quel type d'enfant elles s'adressent et quel est l'intérêt d'une réhabilitation prothétique chez cet enfant.

pour qui?

La prothèse pédiatrique s'adresse à des enfants présentant des édentations précoces plus ou moins importantes. Ces édenta­tions peuvent porter sur les den­tures temporaires, mixtes ou défi­nitives et peuvent être d'origine congénitale, pathologique ou trau­matique.

AGÉNÉSIES

Ce sont les agénésies simples, les oligodonties et les anodonties.

  • L'oligodontie ce terme est employé lorsqu'il manque au moins 25 % du nombre total de dents, les cas les moins rares sont ceux du syndrome de Touraine, où quelques dents seulement peuvent être présentes. Dans cette maladie:
- les dents sont dystrophiques, coniques et donc peu réten­tives;
    - les crêtes sont inexistantes, c'est dire la difficulté d'appareil­lage de ces enfants (fig. 1).

  • L'anodontie : très exceptionnelle, elle peut affecter une ou deuxdentures et peut être uni- ou bimaxillaire. Statistiquement on note une plus grande atteinte de l'unité dentaire mandibulaire que maxillaire 16.

  • En général, le terme d'agénésie simple est réservé aux cas où quelques dents sont absentes. Elles sont souvent héréditaires sur le mode de dominance autoso­mique II .

Bien qu'elles affectent rarement la denture temporaire (0,1 à 0,4 % de la population selon CLAYTON et BOLLENDER), les agénésies sont loin d'être exceptionnelles en France puisqu'elles affectent la denture permanente de 5 à 6 % de la population selon GYSEL et MON­TEIL. Ces cas sont souvent réser­vés à la prothèse fixe.

ÉDENTATIONS PAR EXTRACTIONS MULTIPLES

Ces extractions multiples ont plu­sieurs origines:

1. Dans la grande majorité des cas, ces édentations sont dues à des avulsions dentaires pratiquées
chez des enfants atteints de poly­caries infectées, syndrome du biberon étendu aux molaires...

Ceci concerne souvent des enfants difficiles qui, refusant les soins, ont vu au fur et à mesure des années leur denture se dété­riorer.

La carie est le quatrième fléau mondial. La polycarie occupe le premier rang parmi les causes d'édentation sévère chez l'enfant.

2. Dans les affections à risque bactériémique, les éradications des dents infectées (ou de celles qui risquent de le devenir) sont nécessaires, c'est le cas:
- dans certaines cardiopathies congénitales ou acquises,
- dans certaines prothèses endoosseuses ou vasculaires,
- chez les enfants aux défenses diminuées (chimiothérapie, aplasie médullaire...).

3. Dans les parodontopathies délabrantes qui accompagnent certaines pathologies comme:
- syndrome Papillon-Lefèvre, - neutropénie,
-   hypophosphatasie.


pourquoi?

La denture de l'enfant intervient dans de nombreux phénomènes physiologiques tels que la crois­sance, la mastication, la digestion, la phonation, l'esthétique et la suite de la dentition elle-même. Il apparaît donc très important, dans les cas où cette denture ne peut plus jouer son rôle, de restituer à l'enfant une intégralité dentaire. Les indications des prothèses pédiatriques se situent à plusieurs niveaux:

1. Au niveau de la stimulation de la croissance

La perte prématurée d'organes dentaires entraîne des perturba­tions de la croissance :

- Sur les bases osseuses:

La croissance des bases osseuses est pour une grande part sous l'in­fluence de l'hérédité. Il s'y ajoute cependant l'action des différentes fonctions: mastication, respira­tion, déglutition, qui vont dévelop­per suivant le territoire de leurs actions la croissance des pièces osseuses correspondantes.
Les extractions prématurées entraînent des troubles importants de la croissance locale, avec for­mation de diastèmes créés par ces extractions. Le déséquilibre qui apparaît alors va agir de proche en proche et va perturber la croissance des maxillaires et même de la face. On sait en effet que la morphologie de l'étage moyen, liée à celle des piliers osseux (antérieurs, moyens et postérieurs) réunis par le ceîntre zygomatomalaire, est tributaire des pressions masticatoires qui se transmettent à la base du crâne.

Une édentation molaire mandibu­laire bilatérale importante peut conduire à une position linguale basse. La langue étant basse constamment, une hypoplasie des maxillaires supérieurs survient puisque la croissance suturale intermaxillaire n'est plus correcte­ment stimulée. L'architectonie faciale, adaptation des piliers qui relient le maxillaire supérieur à la base du crâne, s'établit mal. Pro­gressivement, les piliers verticaux (incisivo-canins en particulier) et surtout le ceîntre zygomatoma­laire qui les unit, connaissent une croissance insuffisante qui se tra­duit au niveau du profil par:
- la fausse protrusion des globes oculaires;
- la rétrochélie supérieure.

Dans son aspect majeur, le profil est proche de celui réalisé par la maladie de Crouzon. La crois­sance mandibulaire, dont le taux n'est plus contrôlé par une arcade supérieure qui devrait circonscrire en tout point l'arcade inférieure, devient excessive: une progna­thie mandibulaire vraie s'instaure (promandibulie).

- Sur le rapport des arcades

La perte prématurée d'une grande partie des zones d'appui déci­duales provoque la perte de sou­tien de l'occlusion avec comme conséquence une diminution de la hauteur d'occlusion.

Deux cas de figures sont pos­sibles :
1. Le rapport des dents anté­rieures est tel qu'il existe un léger recouvrement incisif (ce qui est normal en denture défi­nitive jeune) :
. si le patient possède une musculature masticatoire forte, seules les dents anté­rieures supportent les pres­sions manducatrices, les dents supérieures cèdent et sont protrusées; ou bien, toutes les antérieures supé­rieures et inférieures se vesti­bulisent et une biprotrusion s'établitl3 (schémas 2 et 3) ;
 . lorsque les pressions mandu­catrices sont moins impor­tantes, les incisives résistent et freinent la croissance en avant de la mandibule. La relation molaire tend alors vers une distocclusion13 (schéma 4).

    2. Les dents antérieures sont en bout à bout incisif (normalité à la fin de la denture lactéale frontale). Pour trouver un anta­gonisme dans les zones posté­rieures, l'enfant ne peut que propulser la mandibule, créant ainsi une inversion d'articulé incisif avec proglissement13 (schéma 5).

C'est ainsi qu'une édentation molaire bilatérale peut amener un proglissement mandibulaire voire une situation d'inocclusion rappe­lant celle du vieillard édenté ou du nourrisson, imposant à l'enfant de conserver sa succion-déglutition initiale (qui s'était normalement transformée en déglutition «ar­cades au contact» lors de l'appari­tion des surfaces dentaires de mastication (fig. 36 à 39).

Par ailleurs une édentation impor­tante unilatérale peut provoquer l'installation d'une latéro-déviation mandibulaire.

- Sur la croissance des procès alvéolaires

Une édentation importante pro­voque une déviation du dévelop­pement normal alvéolaire par éta­lement lingual. L'os alvéolaire naît et vit avec la dent.

­Il naÎt.. c'est en effet l'épithélium de la lame dentaire qui provoque l'activité du mésenchyme sous­jacent et sa transformation en tis­sus osseux.

Il vit.. la croissance alvéolaire se fait suivant les éruptions dentaires temporaires et définitives.

- Sur la croissance des condyles mandibulaires

Une mastication unilatérale, pro­voquée par une édentation unila­térale postérieure, entraîne un déséquilibre musculaire parfois responsable d'une morphologie condylienne anormale. Cette asy­métrie fixée aboutira à des troubles définitifs de la cinétique mandibulaire.

2. Au niveau de la mastica­tion, de la déglutition
et de la digestion

La mastication est le premier temps de la fonction de nutrition, elle est à la base du développe­ment normal de l'enfant et réclame l'intégralité du système dentaire.

Chaque dent extraite, perdue pré­cocement entraîne une diminu­tion du cœfficient masticatoire en fonction de la valeur de chaque dent. Ainsi, les dents de six ans représentent le quart de la table occlusale, soit la plus grande sur­face de mastication. L'intégralité de ces molaires est très impor­tante pendant la chute des molaires temporaires et la mise en occlusion des prémolaires.
Avec la mastication, les réflexes de succion disparaissent normale­ment au profit d'une déglutition en intercuspidie maximale avec appui de la pointe de la langue sur les faces palatines des incisives supérieures.

La perte prématurée des dents temporaires, notamment molaires et incisives, prolongera la dégluti­tion avec interposition de la langue entre les arcades. Cette interposition linguale empêchera l'ouverture de l'occlusion et main­tiendra les premières molaires permanentes en infraposition avec pour conséquence une supraclusion incisive dans les années qui suivront.

3. Au niveau du maintien de l'espace et du guide d'éruption des dents perma­nentes

En palliant aux édentations, les prothèses pédiatriques main­tiennent au niveau des sites éden­tés un diamètre mésio-distal suffi­sant pour permettre l'éruption des dents permanentes sous-jacentes.

Chez les patients non appareillés, il se produit une mésialisation des dents distales aux secteurs éden­tés, empêchant ainsi toute érup­tion des dents permanentes. Cette mésialisation est relativement importante chez un sujet à grand F.M.A. (angle formé entre le plan mandibulaire et le plan de Franc­fort), alors qu'elle est beaucoup plus faible et parfois nulle chez un sujet à petit F.M.A.

Par le biais de meulages sélectifs faits au niveau de l'intrados des prothèses amovibles pédiatriques, on peut guider l'éruption des dents permanentes.

4. Au niveau phonétique

Le son de la voix se forme au niveau des cordes vocales. Le lan­gage, quant à lui, est constitué par les modifications du son au niveau du pharynx, de la cavité buccale et des fosses nasales.

La denture lactéale donne à la langue les appuis nécessaires à la prononciation de certains pho­nèmes, lors de l'acquisition du langage. Le manque de dents entraîne d'importants problèmes de phonation: une édentation bilatérale postérieure importante peut provoquer l'apparition d'un « chuintement», une édentation antérieure importante un «zozote­ment ».

Cependant, les extractions préma­turées n'entraînent généralement que des modifications provisoires chez un enfant ne présentant pas de troubles phonétiques préexis­tants, ces modifications cessant soit avec l'appareillage de l'enfant, soit avec l'éruption des dents per­manentes.

5. Au niveau esthétique et psychologique

Le visage et, encore plus, la sphère dento-Iabiale se révèlent comme un élément essentiel de l'esthétique.
Les rôles psychologiques et esthé­tiques sont fondamentaux car liés à la formation du schéma corporel de la personnalité. L'oralité, dans la constitution de la personnalité, est capitale.

L'étage inférieur du visage, et plus particulièrement le sourire dento­labial, constitue une entité psy­chologique dans laquelle les élé­ments organiques, la personnalité et l'esprit sont indivisibles. Cette image plastique du visage devient indissociable de nous-mêmes, au point que toute altération de cette unité, aboutit généralement à une rupture de l'équilibre organique et psychique .

C'est ainsi qu'une modification esthétique, aussi disgracieuse que la perte prématurée d'incisives temporaires maxillaires, peut créer des modifications du psy­chisme de l'enfant et être égale­ment à l'origine de praxies (suc­cion du pouce, interposition linguale), qui perturberont l'éta­blissement de son occlusion.

conclusion

L'atteinte dentaire perturbe grave­ment le développement physique de l'enfant, elle peut freiner son développement scolaire et affec­ter de façon pathologique sa vie relationnelle. La pose de prothèse permet à l'enfant de se sentir «comme les autres », de manger normalement, de dormir mieux, de pouvoir présenter son visage sans provoquer de railleries.

Son premier - vrai - sourire est déjà, s'il en était besoin la justifi­cation de la décision du praticien.

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