vendredi 20 mai 2011

Hémopathies malignes et cavité bucco-dentaire





Dr. OTMANI Naïma Médecin Dentiste, Unité Hémato-Oncologie Pédiatrique- Hôpital d'Enfants de Rabat - Médecine du maghreb 8 octobre 2003




Lors de maladies hématologiques malignes, les manifestations buccales sont fréquentes, et peuvent être l'un des signes révélateur de la maladie. L'atteinte des muqueuses buccales est due soit à l'infiltration par les cellules cancéreuses, soit due à l'effet iatrogène des traitements anticancéreux.


Avant traitement, il s'agit essentiellement d'hypertrophie gingivale (presque constante dans les LAM), d'infections et d'ulcérations des muqueuses buccales.


Au cours du traitement, les manifestations sont dûes aux effets secondaires de la chimiothérapie et à la radiothérapie. Il s'agit de gingivorragies, de xérostomie, de mucites et d'infections.



Effets secondaires des traitements anti-mitotiques :

90% des enfants sous traitement anti-mitotique ont des complications orales diverses. Ces complications peuvent le point de départ d'infections systémiques graves, pouvant entraver le pronostic vital de l'enfant, surtout lors des périodes d'immunosuppression. Elles sont représentées essentiellement par :



Mucite : c'est une stomatite iatrogène due aux anti-mitotique qui peut s'étendre à toutes les muqueuses oro-pharyngées. Elle débute par un érythème de la muqueuse accompagné de sensations de brûlures. Puis apparaissent des ulcérations et une douleur importante entraînant une dysphagie. Ces mucites sont une source potentielle d'infections systémiques chez l'enfant immunodéprimé. Il existe une classification internationale permettant de garder la sévérité des affections :


Grade 0Aucune manifestation
Grade 1Erythème + ulcérations non douloureuses
Grade 2Erythème douloureux, œdème, ulcérations, prise de nourriture possible
Grade 3Erythème douloureux, ulcérations, dysphagie
Grade 4Mucite diffuse et Nécrose. Nécessite une nutrition entérale ou parentérale.

Xérostomie : Elle est la conséquence de :

Certains agents / l'adriamycine qui altèrent la sécrétion salivaire. Mais cet effet est transitoire
L'irradiation des glandes salivaires (parotides, sous-maxillaires et sublinguales). A dose de 5000-7000 Gy / semaine, cet effet est irréversible. L'hyposialie est une complication invalidante car elle entraîne des difficultés pour s'exprimer, s'alimenter et même dormir pour les patients dont la respiration nasale n'est pas satisfaction.


A long terme, les modifications salivaires donnent des caries accélérées caractérisées par une coloration brunâtre "Dents d'Ebène" entraînant une détérioration des dents et une sensibilité accrue de celles ci.




Lésions herpétiques péribuccales chez un enfant suivi pour LAL sous chimiothérapie


Infections : chez l'enfant immunodéprimé, tous les foyers infectieux dentaires latents vont être réactivés, ainsi que vont apparaître des parodontopathies, entraînant l'apparition d' infections régionales (cellulite) et surtout générales (septicémie) avec fièvre inexpliquée. Des infections opportunistes dues à des germes du tractus digestif et des voies aériennes supérieures ou à des germes hospitaliers entraînent l'apparition de stomatites infectieuses. Il s'agit :

d'infections bactériennes (35%)
d'infections fongiques (candidose) (50%)
d'infections virales (Herpès, Zona) (15%).


Enduit blanchâtre sur la face dorsale de la langue caractéristique des lésions fongiques




Hémorragies : liées à la thrombopénie ou à la CIVD. Elles se manifestent sous formes: - d'hémorragies sous muqueuses avec pétéchies et purpura. - de gingivorragies survenant spontanément ou après brossage ou mastication. Elles se développent sur des gencives présentant un certain degré d'inflammation par présence de plaque bactérienne.


Purpura sur la face interne des joues du à la thrombopénie chez enfant suivi pour LAM

Anomalies dentaires :

- Les caries dentaires chez l'enfant atteint d'hémopathie sont importantes du fait du manque d'hygiène buccale d'une part et des perturbations hématologiques d'autre part

- Les anomalies de structure de l'émail, les anomalies morphologiques, les agénésies et les troubles d'éruption dentaire sont dues à l'effet toxique sur les améloblastes et les odontoblastes. Mais on ne peut exclure l'effet des perturbations hormonales, thyroïdiennes et hypophysaires.

Ostéoradionecrose : Elle représente la complication la plus importante des irradiations bucco-faciales. Elle se manifeste quand s'accumulent 3 facteurs : l'irradiation, un traumatisme exposant l'os et l'infection. Elle est caractérisée par des douleurs et peut conduire à une fracture de l'os mandibulaire. La prévention repose sur 3 principes :
Avulsion prophylactique des dents délabrées avant toute radiothérapie cervico-faciale.
Suture du site opératoire.
Antibioprophylaxie pour toute intervention ultérieure en territoire irradié.



Prise en charge bucco-dentaire lors de traitement antimitotique :

Cette prise en charge a pour but de supprimer au maximum les foyers infectieux et irritants de la cavité buccale et de limiter les effets secondaires des traitements anticancéreux.
1- Evaluation de l'état bucco-dentaire: un examen clinique et radiologique stomatologique est nécessaire avant le début du traitement.
2- Instruction à l'hygiène orale. En cas diminution importante du taux plaquettaire, le brossage sera relayé par un écouvillonnage des surfaces dentaires par des compresses imbibées de solutions antiseptiques.
3- Début de soins locaux à base de bain de bouche antiseptique (Chlorhéxidine) et de solutions antifongiques (Nystatine, Amphotéricine B) en prévention des mucites.
4- Prescription de fluor ou confection de gouttières fluorées obligatoires lors d'irradiation cervico-faciale.
5- Restaurations ou extractions de toutes les dents atteintes par la carie ou pouvant être source d'irritation avant le début de la chimiothérapie ou de radiothérapie, ces soins doivent être faits après contrôle de la numération formule sanguine.
6- Lorsqu'un état de mucite est déclaré, les soins locaux seront renforcés par des solutions bicarbonatées associées à des anesthésiques locaux afin de diminuer la douleur. L'adjonction d'antibiotiques, d'antifongiques (Fluconazole) ou d'antiviraux (Acyclovir) se fera selon le type d'infection déclarée en association avec la mucite. Les lésions dues au Méthotréxate seront rincées avec des solutions d'acide folique.
7- Suivi bucco-dentaire même après arrêt du traitement. Ce contrôle se fera selon un calendrier de 3-6mois pour contrôler l'hygiène buccale et détecter un éventuel processus carieux. Il faudra être attentif a tous les signes buccaux pouvant être le 1er signe d'alarme d'une rechute.
Si de nouvelles cures sont prévues toutes les mesures de prévention seront renforcées.

Conclusion :

La mise en état bucco-dentaire en oncologie pédiatrique est un volet important dans la prise en charge générale des enfants atteints d'hémopathies malignes. Elle a pour but de diminuer le potentiel infectieux et hémorragique dus aux foyers dentaires. La stratégie de soins dentaires doit tenir compte de la chronologie thérapeutique et de l'état général de l'enfant. D'où la nécessite d'effectuer ces soins en milieu hospitalier, dans un contexte de concertation entre odontologiste et hématologues. La qualité de vie de ces enfants n'en est que nettement améliorée.



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